En quelques heures, les messages de soutien et d'encouragement s'affichent par dizaines sur l'écran de son smartphone. « Je me rends compte que j'ai pris du poids... J'ai un discours simple dans lequel les gens se retrouvent », analyse Jérôme Bayle. Cet agriculteur bovin du Volvestre, âgé d'une quarantaine d'années, a hérité d'une exploitation familiale d'une centaine d'hectares, notamment après le suicide de son père. « Chaque jour, deux agriculteurs se suicident en France. J'ai envie d'arrêter ce massacre agricole et mettre fin à cette situation depauvreté dans notre profession. Nous nous battons pour du concret et non plus pour des paroles », poursuit l'homme propulsé par ses pairs à la tête de la fronde agricole, enclenchée lors d'une manifestation dans les rues de Toulouse le 16 janvier dernier.
Depuis une semaine, les blocages se multiplient. L'autoroute A64 est coupée au niveau de Carbonne (Haute-Garonne) depuis cinq jours, idem dans le Gers sur la commune de l'Isle-Jourdain, ou dans le Lauraguais à proximité de Verfeil. Ces dernières heures, les agriculteurs, qui réclament des efforts politiques de la part du gouvernement pour leur garantir un revenu décent, bloquent également l'autoroute A9 à Perpignan, tout comme l'accès à la centrale nucléaire de Golfech (Tarn-et-Garonne).
« Il y a un ras-le-bol général depuis un an au sein de la profession, qui a pris une ampleur inédite sur la fin de l'année 2023. C'est une crise structurelle aggravée par une crise inflationniste. Les engrais augmentent, tout comme le gazole et le matériel agricole. Dans le même temps, on nous fait baisser nos prix de vente pour les maraîchers, les producteurs de viande, les céréaliers, les producteurs laitiers, etc. Aujourd'hui, en Haute-Garonne, le revenu moyen annuel d'un exploitant agricole est de 6.000 euros voire 7.000 euros pour l'Ariège. Ce n'est pas tenable ! », peste Luc Mesbah, le secrétaire général de la FDSEA en Haute-Garonne, qui souligne que l'Occitanie est la région où les agriculteurs gagnent le moins bien leur vie. « Nous ne demandons pas de vivre avec 3.000 euros par mois non plus. Nous ne saurions pas faire », tempèreJérôme Bayle.
Plusieurs de centaines d'agriculteurs sont mobilisées à Carbonne (Crédits : Rémi Benoit).
Face à cette colère montante, le préfet de Haute-Garonne a reçu une délégation de quatre agriculteurs samedi 20 janvier, dont Jérôme Bayle, pour tenter d'apaiser la situation et surtout parvenir à la fin des blocages routiers. Sans succès, et ces dernières heures la mobilisation semble monter d'un cran. Plus de 300 agriculteurs étaient réunis dimanche soir sur le point de blocage de Carbonne. Cette mobilisation croissante a même encouragé le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, à se rendre sur place.
« J'ai dit à Arnaud de rester à Paris mais je lui ai fait remonter nos revendications. Il doit se concentrer pour gagner son match face à Gabriel Attal ce lundi soir. Nous, nous sommes un mouvement asyndical et apolitique. Nous ne voulons personne ici hormis les élus locaux », lance l'agriculteur devant ses hom*ologues qui l'applaudissent chaudement.
Une bande de copains agriculteurs
Comment cet homme, qui se présente comme « un agriculteur lambda », est arrivé à la tête de ce mouvement de colère des agriculteurs, qui semble avoir débordé les organisations syndicales ? Tout est parti d'une bande de copains, agriculteurs et surtout passionnés de rugby. Les métaphores sportives dans les prises de parole des leaders du mouvement n'y trompent pas.
« Il y a un peu plus de deux ans, Jérôme a créé un groupe Facebook, les Rugbyculteurs, qui réunit des agriculteurs et en même temps anciens pratiquants du rugby pour la plupart. C'est un groupe dans lequel nous parlons de tout et de rien, qui permet de nous retrouver pour partager un bon repas, ou se soutenir dans les moments plus difficiles », raconte l'un de ses membres présent sur le barrage de Carbonne ce lundi matin.
Via ce groupe, cette bande de copains s'est donnée rendez-vous mardi 16 janvier, pour la manifestation à Toulouse qui a réuni plus de 600 tracteurs dans la quatrième ville de France. « Plusieurs de mes amis présents mardi dernier m'ont dit qu'ils n'en pouvaient plus et qu'il fallait agir. Certains m'ont poussé à porter la voix de ce ras-le-bol», se remémore Jérôme Bayle. Hésitant, mais motivé par le soutien de très nombreux membres de ce fameux groupe du réseau social, ce dernier prend alors la parole sur la place du Capitole au milieu de la journée de mardi dernier pour partager aux yeux de tous les raisons de la colère des agriculteurs. « J'ai pris la parole en mon nom propre et non celui d'un syndicat ou d'un parti politique », tient-il à souligner. Sans le savoir, Jérôme Bayle vient de se créer une stature de leader.
Il est devenu malgré lui, dans un premier temps, le leader d'un territoire qui n'épargne pas les agriculteurs et qui a préparé la colère qui émerge ces jours-ci. Ces dernières années, l'Occitanie a multiplié les épisodes de catastrophe naturelle, sans parler des crisesà répétition de grippe aviaireet surtout laMaladie hémorragique épizootique (MHE), au plus fort actuellement et présentée comme la Covid de la vache.
« Depuis octobre 2022, cette maladie est présente en Espagne et le gouvernement n'a rien fait pour nous protéger hormis nous rajouter des normes sanitaires supplémentaires qui engendrent des frais. Nous avons 10 % de mortalité de nos bêtes en Occitanie et des taux d'avortement qui montent à plus de 30% ! », témoigne Jérôme Bayle qui demande aussi la sécurisation de l'apprivoisem*nt en eau des agriculteurs et le maintien de l'exonération fiscale pour le gazole non routier (GNR) que le gouvernement souhaite progressivement supprimer.
Jérôme Bayle a été propulsé à la tête de cette grogne agricole (Crédits : Rémi Benoit).
Si le climat et les conditions sanitaires ne sont pas du côté des agriculteurs occitans, le marché semble aussi leur tourner le dos. Ces dernières années, les élus locaux ont encouragé la profession à prendre le chemin de la conversion vers l'agriculture biologique. Résultat? L'Occitanie est la première région bio de France et même d'Europe. L'Occitanie représente68%des brebis laitières bio,35%de la viticulture bio nationale,26%des brebis viandes en bio,22%des grandes cultures bio, des surfaces fourragères en bio, de l'apiculture bio,19%des fruits et des chèvres bio,16%des vaches allaitantes en bio et11%des légumes frais bio.
Au total, ce sont plus de13.600exploitations et près650.000 hectares engagés en agriculture biologique, soit plus de20%de la surface agricole régionale, selon les chiffres communiqués par le conseil régional. Malgréces efforts, soutenus par des subventions non négligeables, le consommateur choisit de moins en moins de produits bio quand ils procèdent à ses achats. Les chiffres annoncés le 1erjuin 2023 par l'Agence bio pour l'année 2022 confirment les grandes tendances amorcées l'année précédente : les achats de produits alimentaires bio sont en baisse de 4,6%, et la part du bio dans le panier des Français s'établit à 6%, contre 6,4% en 2021. De quoi, là aussi, attiser la colère des agriculteurs d'Occitanie, face aux nombreuses contraintes techniques imposées pour maintenir leur label bio.
Dans le cercle proche de Jérôme Bayle, on s'amuse du nouveau statut de l'agriculteur, 'nouveau' porte-parole de cette situation agricole complexe. « Nous ne pensions pas qu'il savait parler comme çapubliquement ou devant les médias », ironise un manifestant. « C'est quelqu'un de très courageux qui a un leadership naturel », tempère un autre. « Comme on dit, il les a posées sur la table. Des jeunes comme lui dans la profession il en faudrait plus. Maintenant, va-t-il tenir sur la durée ? J'ai peur qu'il soit repris par des partis politiques... », partage un agriculteur de l'ancienne génération qui observe cette mobilisation avec un regard extérieur.
« J'ai déjà reçu des propositions et je sais que d'autres opportunités vont s'ouvrir à moi mais cela ne m'intéresse pas. Je suis un agriculteur du Volvestre et je compte le rester. Je n'ai à rien à faire dans un bureau parisien (...) J'ai sacrifié ma ferme pour sauver la leur en engageant ma responsabilité en cas de dégâts et incidents. Alors en contrepartie, je leur ai dit que quand je ferai un pas je veux qu'ils soient avec moi et derrière moi. Quand j'ai dis 'on va sur l'autoroute', les agriculteurs m'ont suivi et cela s'est propagé », raconte le leader du mouvement.
La nostalgie Denormandie
Après ce groupe Facebook à l'origine des blocages, une boucle WhatsApp avec plus de 500 contacts a été créée pour coordonner les mobilisations en Occitanie. En région toulousaine, les agriculteurs comptent maintenir cette dynamique : organiser des actions pacifiques et non violentes, mais qui ont du poids. En plus des axes routiers, les agriculteurs comptent bloquer dans les prochaines heures des structures stratégiques comme la zone Eurocentre au nord de Toulouse et la centrale d'achat de l'enseigne Lidl à Baziège ou encore la Socamil à Castelnaudary (Aude).
« Nous sommes dans une structure nationale, la FNSEA, qui n'est pas une dictature. La direction nationale laisse la possibilité aux antennes régionales et départementales de prendre des initiatives comme c'est le cas en ce moment. Désormais, nous espérons que le mouvement va prendre une ampleur nationale (...) Quoi qu'il se dira ce soir entre le Premier ministre et notre fédération, nous continuerons le mouvement sans violence et ce ne sera pas la fin des blocages », commenteLuc Mesbah de la FNSEA 31, dont la structure nationale essaie de ne pas perdre la facedevant cette mobilisation soudaine de sa base.
Par peur que des personnes mal intentionnées viennent entacher leur mobilisation, comme la tentative d'incendie sur le barrage de Carbone au petit matin ce lundi 22 janvier, les manifestants ont fait appel à une équipe d'agents de sécurité pour protéger le campement et leurs moyens d'actions. Et ce, le tempsqu'il faudra.
Les agriculteurs se sont engagés à ne pas détériorer la chaussée de l'autoroute (Crédits : Rémi Benoit).
Dans les coulisses, les agriculteurs mobilisés espèrent des réponses concrètes du gouvernement dans les 15 jours. « Nous avons envie de rentrer, mais nous tiendrons », assure un jeune agriculteur proche d'un brasero, qui brave le froid chaque nuit dans son tracteur depuis plusieurs jours désormais. D'autres espèrent, à l'issue de cette mobilisation, la nomination d'un « nouveau capitaine ». « Marc Fesneau estinexistant et ne sert à rien, contrairement à Julien Denormandie qui était une brave personne, à l'écoute des agriculteurs et qui comprenait nos problématiques ». Enfin, certains se disent prêts à boycotter le Salon de l'Agriculture s'ils estiment que cela est nécessaire pour obtenir gain de cause. Ce qui serait un très mauvais signal politique pour le nouveau Premier ministre face à l'intérêt des Français pour cet événement attendu le 24 février à Paris.
Lire aussiColère des agriculteurs: le gouvernement Attal face au risque d'embrasem*nt
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